mardi 25 septembre 2007

Malcolm lit "Saturday"



Berlin, quartier de Mitte, appartement de Jake et Malcolm, le 16 septembre 2007.


Malcolm, 31 ans, Anglais, musicien rock et professeur d'anglais. Vit à Berlin (Mitte).




Pendant mon séjour berlinois, c'est Jake, un ami américain, qui m'héberge dans son appartement idéalement situé en plein centre de la ville. Malcolm, son colocataire anglais, lisait devant moi tandis que je travaillais à mes recherches pour ma nouvelle pièce de théâtre.
Il s'est donc prêté au jeu de l'interview littéraire... dans la langue de Molière!



Qu'est-ce que tu lis?

Saturday, d' Ian Mac Ewan (en anglais).




Une phrase que tu aimes dans ce livre :


"From the second floor, he faces the night, the city and its icy white light, the skeletal trees in the square, and thirty feet below, the black arrow head railings, like a row of spears."



Pourquoi ce livre?

J'aime bien cet écrivain, Ian Mac Ewan. C'est un de ses romans récents, j'étais donc curieux de le lire car je n'ai pas lu de bouquin de cet auteur depuis un moment.
L'histoire se passe à Londres. Je pense que j'avais envie de lire quelque chose qui se passe là-bas. J'habite à Berlin, il y a probablement un élément de nostalgie de ma part. J'avais envie de me tenir au courant de la vie à Londres.



Comment ce livre est-il arrivé entre tes mains?

J'étais en vacances en Angleterre. J'ai volé ce livre dans l'appartement de mon frère il y a trois semaines, à Londres. Je ne sais pas si mon frère avait l'intention de le lire, mais il ne lit pas beaucoup, donc cela ne devrait pas lui manquer. En plus, en trouvant le livre, j'ai vu qu'il y avait le nom de ma mère dedans. Tu vois, "Rennie", c'est le nom de ma mère... Je pense que ce livre lui appartenait et qu'elle l'a ensuite donné à mon frère qui ne l'a pas lu.





Tu lis tout le temps dans la cuisine, comme tu le fais en ce moment?


Non, je lis dans les toilettes! Je lis au lit aussi (mais cela me fait dormir, je ne dépasse même pas une page...), et parfois dans les transports publics.
Lire aux toilettes, c'est une question d'habitude. C'est aussi un moment de calme, un moment où je ne peux rien faire d'autre que lire... C'est juste que si je n'ai pas un bouquin dans les mains, j'en ai un peu marre d'être aux toilettes... (aaaaaaah, il avoue!) Et il y a quelque chose dans la position que tu as aux toilettes qui est vraiment confortable... C'est un moment de repos. (Mon Dieu Malcolm, quelle magnifique apologie de la cuvette!)


Et maintenant, que penses-tu de ce livre?

J'ai commencé le livre aujourd'hui. J'aime bien. Je connais le style de l'auteur et je savais que j'allais aimer son écriture. C'est un début intéressant (j'ai lu une vingtaine de pages) et j'ai envie de continuer.


L'action se passe sur une journée, un samedi de la vie de quelqu'un qui habite à Londres. Ian Mac Ewan écrit toujours des choses un peu glauques : le protagoniste est un médecin qui travaille à Londres. J'ai déjà lu une série d'explications d'opérations chirurgicales qui sont décrites avec une clarté assez horrible pour une personne qui ne pratique pas la médecine. L'auteur a un talent pour insérer des choses horribles, choquantes, dans un des contextes banals, au moment où tu ne t'y attends pas.

Il existe quelques films tirés de ses romans : The cement garden, avec la fille de Serge Gainsbourg. C'est un film d'art et d'essai en noir et blanc, très étrange, qui date des années 90. Je viens de regarder aussi un film tiré de Enduring love, avec des comédiens connus en Angleterre, c'était pas mal non plus.


En tant qu'artiste, comment te nourris-tu de tes lectures?

Autrefois, quand je faisais plus de "songwriting", inconsciemment, j'étais très influencé par mes lectures. Surtout par des mots précis. Moby Dick m'a inspiré un morceau. J'ai écrit un autre morceau inspiré par un poème en latin, mais ce n'était pas fait exprès. Quand je m'en suis rendu compte, j'ai délibérément travaillé en direction de cette influence en écrivant les paroles de ma chanson.



Quel est ton livre préféré?

Moby Dick de Melville. J'aime bien les classiques, j'aime bien les romans qui se passent "sur la mer". Les situations d'aventure : les hommes contre les forces de la nature. Je l'ai lu à l'âge de 23 ou 24 ans, ce qui est assez tard. Quand je faisais mes études de lettres en Angleterre, Melville était l'un des auteurs qui faisaient partie des canons de la littérature en anglais. J'adore les jeux de mots de Melville, sa manière d'utiliser le langage.



Et maintenant, fais-moi une grimace inspirée par Saturday!




Dans le premier chapitre, le protagoniste se lève très tôt par hasard, il voit une comète dans le ciel de Londres et il la regarde... On peut d'ailleurs voir cette comète sur la couverture du livre.



Et désormais, Malcolm sera pour moi...

Le marin qui surfe sur la cuvette sans jamais tomber dans le trou fatal...




vendredi 14 septembre 2007

Prières secrètes


Une petite église de province, le 8 septembre 2007









Je sens que ce billet va choquer.





Mais on suit les traces de Sophie Calle avec audace, ou pas.




J'assume complètement mon voyeurisme : n'est-ce pas le concept même de ce blog?





Je visitais récemment une jolie église dans une petite ville de province, lorsque que j'aperçus ce carnet de notes grand ouvert. Forcément une invitation à la lecture.





Une petite note délicieusement surannée, tapée à la machine, expliquait que "les prières rédigées dans ce carnet seront lues par les enfants de choeur " lors de la célébration de la messe.




Ni une ni deux, je me plonge sans le moindre scrupule dans une lecture passionnée de toutes ces prières laissées comme des bouteilles à la mer par les paroissiens.




Beaucoup demandent qu'on leur envoie le bonheur d'avoir un enfant, certains souhaitent que leur travail soit moins pénible, plus lucratif, plus satisfaisant ; d'autres voudraient bien avoir un toit et un job, tout bêtement.




D'autres prières encore, profondément émouvantes, demandent la guérison du corps et de l'âme. L'une d'elles m'a laissée ébranlée au milieu de la nef : "Seigneur, je suis à bout. Donne-moi la force. Je ne peux plus continuer".


Sur la page photographiée, on peut lire, fautes d'orthographe incluses :



"Seigneur soulage ma maman elle a besoin de toi merci"


"Seigneur Jésus je te supplie de nous accorder la joie de recevoir un enfant. Merci pour cette enfant que tu prépares déjà dans mes entrailles Amen"


"Seigneur je te cherche est-ce que tu viendras vers moi"


"Seigneur prend pitié de moi pécheur"


"Seigneur, Dieu tout puissant, Maître de l'Univers, guide nous correctement dans notre vie de tous les jours et prends pitié de nous. Je t'en supplie. AMEN"


"Seigneur, Prière collective pour mon changement de service [...]"


Ici, la photo est coupée et je n'ai pas eu le temps de noter le texte, car l'organiste a débarqué en grande pompe dans l'église, lui-même aussi sonore que son instrument, me laissant juste le temps d'écrire à mon tour une prière dans le carnet.






Maintenant chers lecteurs, je pars pour Berlin, mon avion décolle d'ici quelques heures et je vous promets de vous rassasier de magnifiques interviews... En somme, je m'engage à :


- Réaliser une interview dans l'avion (aller ou retour, selon ce que j'aurai sous la main comme lecteur!)


- Interviewer un(e) Berlinois(e) pur jus


- Faire une interview en allemand! (attention, grand challenge...)






Soyez prêts, comme le dit en allemand ce dessin que j'ai photographié à Berlin en février...




lundi 10 septembre 2007

Michel lit "Langages totalitaires"


Dreux, sur la terrasse d'un loft, le 9 septembre 2007.






Michel, 58 ans, comédien, metteur en scène, professeur d'art dramatique, journaliste radiophonique, auteur-adaptateur. Vit à Paris (18e).













En tournée à Dreux, où je joue un petit rôle dans La Reine morte d'Henri de Montherlant, l'un de mes partenaires de scène me parle d'un livre qu'il lit en ce moment.




Soyons tout à fait honnêtes : j'ai un peu triché, cette fois. Cette interview n'est pas le fruit du hasard, je l'ai provoquée parce que Michel et son livre étaient trop intéressants pour passer à côté d'une telle aubaine.





Qu'est-ce que tu lis?



Langages totalitaires, de Jean-Pierre Faye. Il y a un sous-titre important : Critique de la raison narrative et critique de l'économie narrative, "critique" et "économie" étant placés l'un au-dessus de l'autre.










Une phrase que tu aimes dans ce livre :


C'est une question difficile pour commencer... Tu vois, je feuillette le livre devant toi. Tu vois tout ce qui est souligné et ce tout ce qui est noté dans la marge. Finalement, tout est important... Voilà : "Dans les commencements d'une révolution, on ne peut jamais savoir, devant les prétendus écarts, s'il s'agit de simple confusion personnelle, ou des germes d'un nouveau parti." Ou comment l'on est conduit d'une préoccupation individuelle à la construction d'un outil politique.





Pourquoi ce livre?


Mes lectures s'inscrivent toujours dans une constellation. je choisis toujours un livre à cause d'un autre livre. J'ai passé une partie de l'été à lire des ouvrages qui tous avaient trait à la période de la Deuxième Guerre Mondiale. Un exemple parmi d'autres, les articles que Joseph Kessel a écrits lorsqu'il a couvert pour la presse nationale les procès qui ont suivi la Libération (Pétain, Nuremberg, entre autres) et j'avais été frappé par la pureté de la langue qu'il utilisait - alors que c'est une langue journalistique : il y a des moments qui sont très saisissants. Du coup, je me suis mis à lire le livre que Hannah Arendt a consacré au procès de Eichmann à Jérusalem au début des années soixante*. C'est à travers ces lectures que j'ai été conduit vers celle-ci, qui correspond au tableau d'ensemble historique auquel on fait référence dans chacun des autres ouvrages.



C'est un ouvrage de philosophie historique qui est assez compliqué, d'ailleurs j'ai lu 150 pages en un mois avec beaucoup d'attention, en prenant des notes et en me munissant d'un dictionnaire d'allemand : la précision de la traduction est capitale pour comprendre exactement le fil de la pensée et de la démonstration qui s'ensuit.


C'est un ouvrage assez ancien, publié pour la première fois en 1972 et republié il y a une dizaine d'années. Il est considéré par les politologues ou les philosophes de l'Histoire comme un des ouvrages majeurs du Vingtième Siècle, parce qu'il réussit en partie à faire comprendre comment on a pu rendre acceptable l'idéologie nazie. Mais aussi la destruction, le meurtre, l'autodissolution d'un pays, l'Allemagne. C'est l'énigme majeure : l'Allemagne était dans les années 1930 un des pays les plus développés, les plus cultivés du monde, avec une grande tradition philosophique. Georges Steiner disait : Comment peut-on rendre compte du fait qu'il y a, à quelques kilomètres d'écart, un camp de concentration et Weimar qui est la patrie de Goethe?




Rappelons-le au passage, Jean-Pierre Faye a été l'un des fondateurs de la revue Tel Quel avec Philippe Sollers, puis de Change. Il s'est beaucoup appliqué à travailler sur les capacités meurtrières du langage ; or, dans l'histoire du Vingtième Siècle, elles ont atteint un sommet : les mots ont tué, véritablement.

Quel est ton rapport physique avec cet objet? Où et comment l'as-tu acheté?


Quarante euros, c'est cher. Malgré mes nombreux métiers, je suis intermittent du spectacle, et très intermittent parfois : parfois très riche, parfois très pauvre. Il est vrai que je convoite souvent longtemps les livres. Je les achète quand j'ai les moyens de les acheter. J'avais envie de lire celui-ci depuis fort longtemps, avec un autre d'ailleurs, Le vocabulaire européen de la philosophie**, qui, lui, est encore plus cher : j'espère qu'on me l'offrira pour mon anniversaire ou pour Noël! J'avais cherché ce bouquin à la FNAC Saint-Lazare à Paris. On trouve des libraires qui sont des gens cultivés mais aussi des abrutis intégraux, dont cette personne qui a prétendu que ce livre n'existait pas, qu'il était complètement épuisé. En réalité elle avait regardé dans une mauvaise rubrique, je suis allé dans les rayons et je l'ai trouvé... Un peu méchamment, je suis allé le lui montrer. C'est un peu dur, mais après tout, c'est vachement important! On ne peut pas vendre des livres comme on vend des baskets ou de la lessive, enfin!


J'attends parfois plusieurs années avant de pouvoir acheter un bouquin, et j'en ai beaucoup aujourd'hui... parce que je suis un peu vieux maintenant!




Et maintenant, qu'en penses-tu, de ce livre?


Cette lecture permet de faire le lien entre des choses qu'on ne met pas en rapport habituellement. Malgré l'extraordinaire complexité de la matière, l'écriture de Jean-Pierre Faye est parfaitement limpide. Je n'ai pas besoin, si j'interromps ma lecture pendant une semaine par exemple, de relire les pages qui précèdent. Je retrouve aussitôt le fil, parce que la pensée est limpide. Elle est parfois même un peu trop méthodique. Il s'agit de comprendre comment il y a eu une constellation idéologique qui s'est constituée et qui a conduit au nazisme. Il prend les choses depuis le dix-neuvième siècle et surtout après la guerre de 14. Il faut avoir quelques notions de philosophie et éventuellement se replonger dans les manuels de terminale, pour avoir les faits de la République de Weimar par exemple.





Donc, au bout de ces 150 pages, tu as déjà quelques clefs, quelques élements de réponse sur le discours totalitaire et la construction de l'idéologie nazie?


Absolument! Parce que Faye raisonne d'une manière topographique. Il situe les matières dont il parle sur le terrain des idéologies . Donc on peut les repérer d'une manière schématique, à travers une espèce de figure où l'on voit apparaître le positionnement de chacune de ces matières. L'entreprise est tellement étendue qu'il reste énormément de choses à découvrir - ça lui a pris dix ou quinze ans de sa vie... Mais je crois avoir saisi, dans les cent cinquante premières pages, l'essentiel de la trame. J'arrive à suivre la pensée et je comprends d'où elle vient et où elle va me conduire.


François Miterrand, qui n'était pas le dernier crétin venu, disait que c'était l'un des livres majeurs du vingtième siècle. C'est intéressant d'avoir le point de vue d'un homme politique, de quelqu'un qui a dirigé une nation comme la nôtre, qui considérait ce livre comme un sésame pour comprendre l'histoire du vingtième siècle. C'est capital.



Est-ce que tu arrives à lire ici, en tournée, avec toute la troupe autour? (Nous sommes onze comédiens, plus une maquilleuse et un régisseur, et en tournée, on se voit presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre...)


Non, pas vraiment, je l'avoue... je n'arrive véritablement qu'à remplir les grilles de mots croisés du Monde!


Mais je suis frappé d'une chose. Je suis un grand lecteur depuis mon enfance. Or je ne lis pas dans les endroits où je vois la plupart des gens lire (le métro, le bus, etc.). Les gens qui lisent dans les transports en commun semblent utiliser le livre comme un outil de repli sur soi qui leur permet de ne pas avoir la conscience de l'existence de l'environnement. C'est un truc qui m'étonne. Je suis un peu perplexe.



Moi, je peux tout à fait m'absorber...


Mais peut-être est-ce affaire de génération, tu sais. Je suis un peu vieille France, j'aurais trouvé inconvenant quand j'avais quinze ou vingt ans de lire dans un transport en commun autre chose qu'un journal. J'aurais probablement pensé que je lisais mal. J'ai besoin d'un environnement calme. J'ai besoin que le regard, quand il quitte les caractères graphiques, puisse s'évader, puisse aller loin dans l'horizon. Or, je suis trop passionné par les êtres et quand je suis dans les transports en commun, j'observe. Je regarde les gens, je les capte, je les apprécie, dans tous les sens du terme. C'est un terrain d'observation que je préfère infiniment à la lecture.

Quel est ton livre préféré?


Belle du Seigneur, d'Albert Cohen, parce que c'est le plus beau livre d'amour que j'aie jamais lu. On peut ne pas être d'accord, car Cohen était macho et le personnage de Belle du Seigneur est lui-même un grand séducteur machiste, mais c'est quand même un magnifique livre d'amour. Je l'ai d'ailleurs offert à des femmes que j'aimais bien - pas forcément amoureusement - qui parfois l'ont pris comme le signe d'une immaturité... comme si elles se disaient : "S'il aime ce livre, c'est qu'il en partage les tenants et les aboutissants", ce qui est faux! J'espère être infiniment moins machiste que Solal dans Belle du Seigneur. Il n'en reste pas moins que c'est un bouquin où l'on a rarement décrit la passion avec autant de finesse, autant d'humour... c'est beau, tout simplement!

Maintenant, fais-moi une grimace inspirée par Langages totalitaires!






Et désormais, Michel sera pour moi...


Un voyageur, un curieux, un excellent acteur, un littéraire, un philosophe... pour moi, l'incarnation de la bohème à la française...




* "Eichmann à Jérusalem", Hannah Arendt, éditions Folio Histoire.

** "Le Vocabulaire européen des philosophies" (sous-titré "Dictionnaire des intraduisibles") est un dictionnaire encyclopédique du lexique philosophique, réalisé sous la direction de Barbara Cassin. D'aucuns considèrent cet ouvrage comme le "Lalande" du XXIe siècle. (source : Wikipédia).